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Consultation d'un texte

Bossuet. Oraison funèbre de Henriette de France, reine de la Grand'Bretagne

Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis terram. Pſal. 2.
Maintenant, ô Rois, apprenez ; inf‍truiſez-vous, Juges de la Terre.

Monseigneur,

Celuy qui regne dans les Cieux, & de qui relevent tous les Empires, à qui seul appartient la gloire, la Majef‍té, & l’indépendance, ef‍t auſſi le ſeul qui ſe glorif‍ie de faire la loy aux Rois, & de leur donner quand il luy plaif‍t de grandes & terribles leçons. Soit qu’il éleve les Thrônes, ſoit qu’il les abbaiſſe ; ſoit qu’il communique ſa puiſſance aux Princes, ſoit qu’il la retire luy-meſme & ne leur laiſſe que leur propre foibleſſe : il leur apprend leurs devoirs d’une maniére ſouveraine & digne de luy. Car en leur donnant ſa puiſſance, il leur commande d’en uſer comme il fait luy-mefme pour le bien du monde ; & il leur fait voir en la retirant, que toute leur Majef‍té ef‍t empruntée, & que pour ef‍tre aſſis ſur le Thrône, ils n’en ſont pas moins ſous ſa main, & ſous ſon autorité ſuprême. C’ef‍t ainſi qu’il inf‍truit les Princes, non-ſeulement par des discours & par des paroles, mais encore par des effets, & par des exemples. Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis terram.

Chreſ‍tiens, que la mémoire d’une grande Reine, Fille, femme, Mere de Rois ſi puiſſans, & Souveraine de trois Royaumes, appelle de tous coſ‍tez à cette triſ‍te cérémonie ; ce diſcours vous fera paroiſ‍tre un de ces exemples redoutables, qui étallent aux yeux du monde ſa vanité toute entiére. Vous verrez dans une ſeule vie toutes les extrémitez des choſes humaines : la félicité ſans bornes, auſſi-bien que les miſéres ; une longue et paiſible joûïſſance d’une des plus nobles Couronnes de l’Univers ; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naiſſance & la grandeur accumulé ſur une teſte qui enſuite eſt expoſée à tous les outrages de la fortune ; la bonne cauſe d’abord ſuivie de bons ſuccés, & depuis, des retours ſoudains ; des changemens inoûïs ; la rebellîon longtemps retenuë, à la fin tout-à-fait maiſtreſſe ; nul frein à la licence ; les Loix abolies ; la Majeſté violée par des attentats juſques alors inconnus ; l’uſurpation & la tyrannie ſous le nom de liberté ; une Reine fugitive qui ne trouve aucune retraite dans trois Royaumes, & à qui ſa propre patrie n’eſt plus qu’un triſte lieu d’exil ; neuf voyages ſur Mer entrepris par une Princeſſe malgré les tempeftes ; l’Ocean étonné de ſe voir traverſé tant de fois en des appareils ſi divers, & pour des cauſes ſi differentes ; un Thrône indignement renverſé, & miraculeuſement rétabli. Voilà les enſeignemens que Dieu donne aux Rois : ainſi fait-il voir au monde le néant de ſes pompes, & de ſes grandeurs. Si les paroles nous manquent, ſi les expreſſions ne répondent pas à un ſujet ſi vaſte, & ſi relevé ; les choſes parleront aſſez d’elles-meſmes. Le cœur d’une grande Reine, autrefois élevé par une ſi longue fuite de proſperitez, & puis plongé tout-à-coup dans un abyſme d’amertumes, parlera aſſez haut ; & s’il n’eſt pas permis aux particuliers de faire des leçons aux Princes ſur des événemens ſi étranges, un Roy me preſte ſes paroles pour leur dire, Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis terram : Entendez, ô Grands de la terre ; inſtruiſez-vous, arbitres du monde.

Mais la ſage & religieuſe Princeſſe qui fait le ſujet de ce diſcours, n’a pas eſté ſeulement un ſpectacle propoſé aux hommes, pour y étudier les conseils de la Divine Providence, & les fatales révolutions des Monarchies ; elle s’eſt inſtruite elle-meſme, pendant que Dieu inſtruiſoit les Princes par ſon exemple. J’ay déja dit que ce grand Dieu les enſeigne, & en leur donnant, & en leur oſtant leur puissance. La Reine, dont nous parlons, a également entendu deux leçons ſi oppoſées ; c’eſt-à-dire, qu’elle a uſé chreſtiennement de la bonne & de la mauvaiſe fortune. Dans l’une elle a eſté bienfaiſante ; dans l’autre elle s’eſt montrée toûjours invincible. Tant qu’elle a eſté heureuſe, elle a fait ſentir ſon pouvoir au monde par des bontez infinies ; quand la fortune l’eût abandonnée, elle s’enrichit plus que jamais elle-meſme de vertus. Tellement qu’elle a perdu pour ſon propre bien cette puiſſance Royale qu’elle avoit pour le bien des autres ; & ſi ſes Sujets, ſi ſes Alliez, ſi l’Egliſe univerſelle a profité de ſes grandeurs, elle-meſme a ſceû profiter de ſes malheurs & de ſes diſgraces plus qu’elle n’avoit fait de toute ſa gloire. C’eſt ce que nous remarquerons dans la vie éternellement mémorable de Tres-haute, Tres-excellente, & Tres-puiſſante Princeſſe Henriette Marie de France, Reine de la Grand’Bretagne.

Mots-clés : Homme face à la mort, chrétien, éloquence, XVIIe siècle, Classicisme