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Mots de la semaine

Vous trouverez ici, chaque semaine (ou presque), la présentation (historique, sémantique ou contextuelle) d'un mot de la langue française, accompagnée de quelques réflexions sur son usage. En effet, à quoi servirait une connaissance approfondie du vocabulaire et du langage si elle ne conduisait pas à un début de recherche philosophique ? Ce ne seraient que des mots, vite emportés par le vent...

Bonne promenade !

Pardonner

03/02/2023

Quand on veut se connaître, après s’être observé, il peut être bon de se comparer aux autres, non pour tenter de les imiter ou pour déplorer ses différences, mais au contraire pour mieux percevoir ce qui fait sa propre spécificité. Il en va de même avec certains mots qu’il est nécessaire parfois de mettre en perspective pour mieux dégager leur sens profond, la vision de la vie qu’ils supposent et ce qu’ils laissent entrevoir des profondeurs mystérieuses de l’âme humaine.

Le mot pardonner fait partie de ceux-là. Il a l’air tout simple et transparent avec son préfixe « par » dont on ne sait pas vraiment ce qu’il veut dire et qu’on relègue aux oubliettes d’un geste de la main puisqu’il nous reste le verbe « donner » pour radical, qui, lui, ne nous pose aucun problème. Oui, mais… donner n’est pas pardonner. Il y a quelque chose en plus !

D'après le Trésor du CNRTL, ce terme de pardonner est attesté dès la fin du Xe siècle dans l’expression « perdoner vida a » qui signifie « faire grâce, laisser la vie à quelqu’un (qui était condamné à mort) » et donc aussi « remettre à quelqu’un la punition d’un péché ». C’est donc une grâce que l’on donne, la vie que l’on offre, une peine que l’on remet, ce qui ne signifie ni qu’on excuse le coupable ni qu’on le reconnaisse comme innocent.

Oublier le préfixe « par » (per) serait une erreur. On le retrouve dans le mot parfait auquel il apporte une idée d’achèvement. Ainsi, ce qui est parfait est fait complètement, il n’y a rien à rajouter, au contraire de ce qui est imparfait (on peut imaginer ce qu’il faut penser du plus-que-parfait !).

Il en est de même pour le pardon. C’est un don total, sans retenue, sans réserve (il est même intéressant de noter que le terme de *pardonateur n’existe pas –- alors qu’il y a des donateurs --, comme si l’on ne pouvait que poser des actes de pardon mais qu’il était impossible d’être un être de pardon, vu la difficulté et la beauté de cette attitude).

Pourtant cette analyse serait incomplète si l’on ne regardait pas du côté des Grecs et des Romains, pour savoir comment ils exprimaient cette notion de pardon afin de mieux la comprendre.

Tout d’abord, il faut souligner le fait que, pour signifier cette idée, Grecs et Latins ne s’appuient pas sur la même racine que le mot français. En l’occurrence, ils utilisent gnosco, qui signifie « savoir ».

Mais ils lui accolent des préfixes différents qui modifient complètement la perspective. Ainsi, les Grecs disent « sungignosco », ce qui signifie « je sais (gignosco) avec toi (sun) », d’où « je te comprends » et donc « j’adopte ton point de vue, je t’excuse »… alors que les Latins, eux, préfèrent dire « ignosco », autrement dit « je ne sais pas, je ne connais pas, j’efface de ma mémoire, j’oublie ».

La langue française, quant à elle, n’adopte aucune de ces 2 positions. Il ne s’agit pas de gommer la faute, d’oublier les actes posés ; Il ne s’agit pas non plus d’adopter le point de vue du coupable : pas question de comprendre (prendre avec) ! il y a eu faute, et le mal n’est pas le bien.

Mais le français donne ce qu’il y a de mieux : la vie, la grâce, une seconde chance. Et ce don généreux doit être complet, c’est-à-dire sans réserve, car « donner, c’est donner, reprendre, c’est voler » comme disent les enfants.

Reste à se demander pourquoi ces différences existent. Il semble que l’explication soit historique et civilisationnelle, pour ne pas dire religieuse : pour les Anciens, la notion de pardon ne pouvait se comprendre que par l’oubli ou le partage (l’excuse), alors que le français retranscrit dans sa sémantique cette notion nouvelle apportée par le christianisme, à savoir l’idée qu’une faute peut être rachetée, que la grâce peut être accordée par amour à celui qui se repent. C’est l’essence même de la doctrine chrétienne, un Dieu qui s’incarne et donne sa vie par amour pour sauver les pécheurs. Et c’est peut-être la raison pour laquelle on parle tant de culpabilité dans la culture occidentale : car il faut avoir une conscience exacte de la faute (sans toutefois s’y arrêter) pour prendre la vraie mesure (ou plutôt la démesure) du pardon.

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