3. Oeuvre. Boule de suif (Maupassant)//
Notion (5- Perfectionnement) | En décembre 1870, l’armée française est en déroute à la suite de l’invasion prussienne, et la ville de Rouen est occupée. Dix personnes décident de rejoindre Le Havre et prennent la diligence pour Dieppe. Parmi elles, trois couples issus, l’un de la noblesse, l’autre de la bourgeoisie, le dernier du commerce, deux religieuses et deux personnes peu recommandables aux yeux des premiers : le « démoc » Cornudet et la prostituée Boule de suif. La route étant mauvaise à cause de la neige, la durée du voyage s’allonge et Boule de suif, qui a seule prévu de quoi manger, partage généreusement son repas avec les autres voyageurs qui l’ignoraient auparavant. Ceux-ci, pour l’occasion et par intérêt, mettent leur mépris de côté, mais le font avec condescendance et conscience de leur supériorité. Le retard oblige les voyageurs à faire halte dans une auberge occupée par les Prussiens. Seuls Cornudet et Boule de suif tentent de faire preuve d’une certaine dignité face à l’ennemi, les autres montrant plus de souplesse prudente et de soumission que de résistance. Cet état d’esprit se vérifie quand l’officier allemand fait demander Boule de suif. Elle ne veut pas se rendre au rendez-vous, mais les autres lui demandent de céder, en prétextant le bien commun. Le lendemain soir, après que tous ont été retenus à l’auberge sans raison apparente, Boule de suif leur apprend que leur départ différé est le résultat de son refus de pactiser avec l’ennemi en couchant avec lui. Les autres voyageurs, excepté Cornudet, d’abord scandalisés de l’attitude allemande et clamant haut et fort leur volonté de soutenir la résistance de Boule de suif, vont toutefois progressivement mettre en place une stratégie diabolique pour la faire céder, car leur voyage est compromis et leurs intérêts menacés. Ils utilisent la journée du lendemain pour la persuader habilement, avec beaucoup d’hypocrisie et de casuistique. Tous les arguments, même les plus fallacieux, sont utilisés : la tournure séduisante de l’officier, la notion de dévouement illustrée par de nombreux exemples bibliques et historiques, le bien commun et la prétendue indulgence de l’Église pour ceux qui commettent des crimes en son nom, le patriotisme, ravivé par la peinture des horreurs de la guerre et des blessés français, le statut de prostituée de Boule de suif qui justifierait son attitude, la culpabilisation, mettant en avant sa responsabilité dans leur aventure, et jusqu’à la flatterie en faisant valoir la fierté que pourrait tirer l’agresseur de la beauté de Boule de suif. Tous ces arguments sont enrobés dans une amabilité hypocrite, une familiarité dédaigneuse, et même un enthousiasme religieux. Boule de suif finit par céder. Mais ses compagnons, plutôt que d’éprouver de la reconnaissance envers elle, plaisantent à ses dépens pendant qu’elle les tire d’embarras, boivent à leur délivrance et, pour comble d’infâmie, l’ignorent froidement le lendemain, allant jusqu’à manger devant elle dans la diligence sans lui proposer le moindre morceau alors qu’elle est la seule à ne rien avoir. Boule de suif pleure de honte et d’exaspération tandis que les voyageurs la couvrent de leur mépris de personnes respectables et bien-pensantes. Seul Cornudet (qui ne lui a pas offert à manger cependant) sifflote La Marseillaise en guise de protestation.
Maupassant s’est inspiré d’un fait divers rapporté par Le Journal du Havre le 5 janvier 1871. Un officier prussien avait retardé le départ d’une diligence pour violer une actrice, jeune et sage, qui faisait partie des voyageurs. Il faut noter que, dans le fait réel, il ne s’agit pas d’une prostituée et qu’il n’est absolument pas question pour les autres voyageurs de persuader leur compagne de céder aux avances de l’occupant. Ils ont juste attendu « patiemment », avec inquiétude, et soumis aux « pointes des baïonnettes ». Cette différence dans la nouvelle permet à Maupassant de mettre un récit dramatique au service d’une argumentation politique et idéologique qui sert de fil conducteur à toute la nouvelle : la pourriture et la lâcheté des « élites » qui mettent leur éducation et leurs pseudo-convictions au service de l’argent et de leur égoïsme particulier, face à la dignité du peuple qui se retrouve broyé et sacrifié. De manière un peu simpliste, mais dans un style brillant et alerte avec une construction efficace, Maupassant oppose la courageuse et généreuse prostituée et le digne démocrate révolutionnaire à une noblesse décadente, à une bourgeoisie profiteuse et à une religion imbécile. Sachant qu’il n’y a pas mieux pour emporter l’adhésion qu’une histoire, même fictive, quand elle est bien racontée. |
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Chapitre(s) associé(s) | 3. Auteur. Maupassant, 3. Lettres. Roman et nouvelle français, 3. Quoi ? Oeuvres. Romans, contes, nouvelles... |